Sarkozy n'aime pas la liberté de la presse
Interview de Edwy Plenel :
Extraits :
" (...) Son principal ennemi, c'est lui-même. Et le principal danger, c'est la rencontre de ce personnage et des institutions de la Vème République. Nicolas Sarkozy, tout le monde le dit tout le monde le sait, a une vision guerrière, egocentrique, de la politique. On est avec lui ou contre lui. On est son obligé ou son ennemi. Il n'y a pas d'entre-deux. Il hystérise la politique. Il met en crise, il met en tension, ce qui est le conflit démocratique normal.
Or nous savons que nos institutions, cette présidence de la République qu'il brigue, sont potentiellement dangereuses. Nous savons qu'elles donnent des pouvoirs sans équivalent, dans aucune autre démocratie, même l'américaine, au président qui sera élu. (...) C'est la rencontre de ce personnage, qui met en crise, en tension la politique, et de ces institutions si peu démocratiques (et qu'il faut changer, qu'il faut radicalement changer), c'est cette rencontre qui est potentiellement très dangereuse.
(...) En tant que journaliste, je peux témoigner que Nicolas Sarkozy n'a pas une vision très pluraliste de la vie médiatique. Je peux témoigner du fait que la normalisation, l'uniformisation du paysage médiatique, était pour lui un enjeu avant cette campagne électorale. Je peux témoigner du fait que toute sa politique sert à imposer un agenda en réduisant l'indépendance des journalistes. Et je peux encore une fois en témoigner, en rappelant ce qui est arrivé à notre pays au moment de Clichy sous Bois, où au fond un mensonge d'Etat est passé dans les médias pendant une semaine, le temps que ce déni de réalité soit ressenti comme une telle injustice, qu'il mette le feu à l'herbe déjà sèche de nos banlieues. "
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Récent et caractéristique épisode : Sarkozy passe un coup de fil rageur et menaçant au patron de Libération après cette "Une" : "Impôt sur la fortune de Nicolas Sarkozy - Le soupçon".
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Mise à jour 16/04/2007
Question à Laurent Joffrin, directeur de Libération :
« Que pensez-vous de la conception de la liberté de la presse par Nicolas Sarkozy ? »
« Nicolas Sarkozy exerce des pressions sur les journaux. Il est légitime de réagir aux articles qui vous mettent en cause auprès des journalistes. Mais il est illégitime de s'adresser aux propriétaires en espérant qu’ils influeront sur leur rédaction. »
(source)
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Mise à jour 17/04/2007
Hallucinante confession, qui confirme bien toutes les impressions senties depuis des mois :
« Les médias sont à droite, presses et télévisions, mêmes les chaînes du service public : France 2 et France 3.
Pour exemples :
Hier soir, France 3 dans l'édition du Soir 3 après avoir affiché que pour la première fois Ségolène était à 50 - 50 avec Sarko au 2ème tour, a diffusé un reportage sur les indécis. Toutes les personnes interrogées étaient de gauche et se demandaient si elles allaient voter pour Bayrou à la place de Ségolène. Etonnant, non ?
Ce matin, ni le journal Le Monde, ni le journal Libération, ne publient le nouveau sondage !
Libération ne parle même pas du meeting de Ségolène d'hier soir à Nantes.
La première leçon de cette élection est que la gauche au pouvoir doit changer les têtes.
Depuis vingt ans, je travaille à l'info sur une chaîne publique, c'est la première fois que la rédaction est aussi partisane, et à droite, dans les mains d'une direction et de rédacteurs en chef qui imposent leur ligne éditoriale : A droite toute !
J'ai honte de travailler dans ces conditions.
Avant, les journalistes de gauche côtoyaient des journalistes de droite. Chacun faisait son travail. Tous étaient vigilants. L'équilibre était respecté au sein de la rédaction.
Depuis un an, la direction a fait le ménage, les journalistes de droite ont pris le pouvoir.
Le pire est à venir si Sarkozy est élu. »
(Alain, 17/04/2007, ici)
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Mise à jour 18/04/2007
Gravissimes révélations de Joseph Macé-Scaron, ancien directeur du Figaro-Magazine :
« Moi j'ai été journaliste politique, j'ai vu quand même Sarkozy, qui était en situation de puissance et non pas en situation de séduction. Et je peux vous dire que la menace, que le "on se souviendra de toi", l'index pointé, "on te cassera", si je ne l'ai pas entendu - et alors moi, je source, moi Joseph Macé-Scaron - si je ne l'ai pas entendu, en tant que journaliste du Figaro, journaliste du Figaro-Magazine, et je parle en connaissance de cause car je n'ai jamais fait moi de livre là-dessus, je n'ai jamais écrit là-dessus, mais c'est la raison pour laquelle j'ai été démissionné du Figaro-Magazine, tout simplement : parce que j'ai refusé, n'est-ce pas, de tailler des p... à monsieur Nicolas Sarkozy. Et ça ne me dérange pas du tout de le dire. »
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Mise à jour 14/05/2007
Le Monde se met enfin à faire son boulot, maintenant que l'élection est passée : un étonnant article (vu la soupe servie ces derniers mois par ce journal), aborde frontalement, pour la première fois peut-être, le problème.
« Nicolas Sarkozy inquiète les médias »
« La victoire de Nicolas Sarkozy pose des questions dans de nombreuses rédactions. En cause, les amitiés entretenues par le nouveau président de la République avec des hommes d'affaires présents dans les médias comme Arnaud Lagardère, dirigeant du groupe du même nom (Elle, Paris Match, Journal du dimanche, Europe 1...), Serge Dassault, propriétaire du Figaro, Alain Minc, président du conseil de surveillance du Monde, Martin Bouygues, propriétaire de TF1, Vincent Bolloré (Matin plus, Direct 8), ou Bernard Arnault, propriétaire de La Tribune...
Avant même l'épisode du retrait de l'article sur le vote de Cécilia Sarkozy, des journalistes du JDD avaient fait part de leur inquiétude. "Ce serait bien de rappeler les principes d'indépendance et de non interventionnisme", déclarait ainsi au Monde un journaliste interrogé avant que cette affaire soit révélée. "Des pressions il y a en a, les coups de téléphone du samedi matin, du samedi soir, venant souvent de la direction du groupe", confirme un salarié.
Les inquiétudes sont vives également chez Lagardère Active, Arnaud Lagardère (actionnaire du Monde) présentant Nicolas Sarkozy comme son "frère". La société des journalistes de Paris-Match a rappelé, le 4 mai, que "la responsabilité vis-à-vis des lecteurs est (notre) seul guide". "Cet impératif prime sur tous les autres, en particulier, sur d'éventuelles tentatives de l'actionnaire majoritaire, des politiques, des annonceurs ou des pouvoirs publics de faire pression sur le contenu".
Cette prise de position intervient après qu'une partie de la rédaction eut manifesté son désaccord en découvrant le projet de couverture du numéro du 25 avril, après le premier tour de l'élection, montrant Nicolas Sarkozy enlaçant son fils Louis. Une délégation de journalistes avait alors rencontré Olivier Royant, directeur de la rédaction de l'hebdomadaire, et Christian de Villeneuve, directeur général des rédactions du pôle magazines du groupe Lagardère, pour leur faire part de leur désapprobation, mettant en avant que Paris Match n'a quasiment jamais fait sa Une sur un candidat entre les deux tours de la présidentielle, à l'exception de 2002. C'est finalement le comédien Jean-Pierre Cassel, qui venait de mourir, qui a eu droit à la couverture, Nicolas Sarkozy exigeant que la photo de son fils soit floutée. Il y a un an, Alain Genestar, directeur général de la rédaction, avait été licencié pour avoir publié en une, le 25 août 2005, une photo de Cécilia Sarkozy au côté du publicitaire Richard Attias.
L'ambiance est tendue également à Europe 1, plusieurs journalistes reprochant une "trop grande proximité" du PDG Jean-Pierre Elkabbach avec le pouvoir. A ces inquiétudes, une porte-parole de Lagardère Active répond : "les maîtres mots dans les rédactions sont l'indépendance éditoriale, l'équilibre et le professionnalisme".
"Tous les journalistes sont attentifs" souligne François Malye, président du Forum permanent des sociétés de journalistes, qui regroupe les sociétés de 25 rédactions. "Nicolas Sarkozy a montré qu'il aimait contrôler les choses. Actuellement, les journalistes ont tendance à se montrer moins résistants, et les journaux ne sont globalement pas en très bonne santé économique. L'inquiétude de fond est que les perquisitions, les instructions, les interrogatoires... deviennent la routine". M. Malye fait référence à la tentative de perquisition au Canard Enchaîné, vendredi 11 mai. Le Forum "condamne ce type d'action dont le seul but est d'identifier les informateurs des journalistes, alors que le secret des sources est l'un des principes fondamentaux de l'exercice du métier de journaliste".
Dans son dernier livre Une campagne off (Albin Michel, 18 euros), Daniel Carton rapporte une conversation de Nicolas Sarkozy avec la direction du Figaro Magazine, lors d'un déjeuner. "Je sais déjà ce que je ferai sitôt à l'Elysée : je m'occuperai personnellement de Jean-François Kahn (président de Marianne)", aurait, selon l'auteur, déclaré Nicolas Sarkozy. Pendant la campagne, l'hebdomadaire a publié un numéro spécial diffusé à 500 000 exemplaires et titré : "Le vrai Sarkozy, ce que les grands médias ne veulent pas où n'osent pas dévoiler".. La direction de Marianne réagit sereinement. "Nous n'avons aucune crainte particulière, nous ne faisons pas de procès d'intention", explique Maurice Szafran, directeur du journal. "En revanche, le traitement de l'élection par le groupe Hachette m'a frappé car ce n'est pas sa tradition. La campagne de Sarkozy vue par Match relève de la presse soviétique des années 1950, dans les légendes, les façons de titrer".
Du côté de France Télévisions, la société des journalistes se souvient de la colère de Nicolas Sarkozy sur le plateau de France 3, le 28 mars, qualifiant de "malhonnête" un reportage sur la fabrication des passeports biométriques. Le retour à l'antenne de Béatrice Schönberg, la présentatrice des JT du week-end de France 2, pose aussi des questions au sein de la rédaction.
Prévu le 18 mai, ce retour coïncide avec l'annonce du nouveau gouvernement dans lequel devrait figurer en bonne place son mari Jean-Louis Borloo.
Pascale Santi »
Article paru dans l'édition du 15.05.07
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Des médias étrangers, sans doute libres de toute accointance sarkozyenne, usent de mots plus directs :
Le petit Nicolas et ses grands amis
Léon Michaux, Le Journal du mardi (Belgique)
« Vu de Belgique, les médias français ont tous rallié Nicolas Sarkozy. Par connivence ou par calcul.
Les Français ne s’en rendent peut-être plus compte tellement ils ont le nez dedans, mais vue d’ici la manière dont la quasi-totalité des médias s’est rangée en ordre de bataille derrière Sarkozy est proprement sidérante. Ce type peut dire tout et son contraire sans que personne ou presque ne s’en émeuve (...). »
Nausée post-électorale
Akram Belkaïd, Le Quotidien d'Oran (Algérie)
« Le fait est que la presse française a joué un rôle non négligeable dans la défaite de Ségolène Royal. Elle a instruit avec zèle son procès en incompétence mais elle s'est gardée d'appliquer la règle de réciprocité par rapport aux dérapages et approximations du candidat de la droite, tant elle était terrifiée - et ce terme n'est pas faible - par la perspective de représailles sarkozyennes.
Des journaux, et non des moindres, se sont autocensurés et ont préféré ne pas publier des articles et des documents qui auraient placé le candidat de la droite dans une position difficile vis-à-vis de l'opinion publique. D'autres, ont repris à leur compte le «spin» efficace des experts en communication réunis autour de Sarkozy. (...)
En 1981, François Mitterrand, à peine élu, avait rendu hommage à Jaurès en se rendant, rose à la main, au Panthéon. Sarko, lui, dîne au Fouquet's, pousse le fa dièse avec quelques vestiges d'une très vieille France, puis s'offre du bon temps sur le yacht d'un patron du CAC 40 (et la presse est formelle : pas de conflit d'intérêt, voyons !). »
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Mise à jour 20/05/2007
Edwy Plenel, France 3, "Ce soir ou jamais", 16/05/2007 :
« Nous avons appris aujourd'hui que la rédactrice en chef de l'hebdomadaire qui a le plus soutenu Sarkozy [Le Point], qui faisait la rubrique politique de campagne, (...) passe comme conseillère à l'Elysée. Et nous avons appris dans le même moment, que la journaliste du Figaro qui suivait la campagne socialiste, qui est celle qui a lancé les premières polémiques contre Ségolène Royal, à son retour de Chine : elle passe à Matignon chez le premier ministre. (...) Une des règles du libéralisme politique, et qui surpasse les convictions des individus, c'est l'indépendance du journalisme ; c'est qu'un fait est un fait, qu'il y a un rapport à la vérité justement ; et que dans ce rapport à la vérité il y a un rapport à la distance. Cela fait honte à notre profession, des évènements comme ceux-là. »
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A lire aussi :
Sarko tente d'étrangler financièrement un journal, puis intimide ses journalistes (video)
http://royal2007.canalblog.com/archives/2007/04/03/4519113.html
http://johnpaullepers.blogs.com/john_paul_lepers_leblog/2007/04/telelibre_ou_te.html
JDD: la rédaction dénonce une censure inacceptable
La concentration des médias et leurs liens avec Nicolas Sarkozy (Betapolitique 09/04/2007)