Marcel Proust en 1900
Au détour d'un entretien de propagande diffusé sur TF1 le 13 décembre dans le magazine "7 à 8" présenté par Harry Roselmack, Mme Carla Bruni-Sarkozy (alias "CBS" alias madame Monmari), régulièrement mise en avant, selon la tactique du rideau de fumée, lorsque la popularité de son mari avoisine les profondeurs, CBS a eu ces gracieuses paroles :
« Je pense que les personnes dont on parle ne se voient pas comme celles qui en parlent. C'est une position tout à fait différente. C’est très joliment expliqué par Proust dans A la recherche du temps perdu, il explique que le mendiant ne souffre pas d’être mendiant ; que c’est le passant qui souffre pour le mendiant ; mais que le mendiant étant mendiant, lui, il est de plain-pied avec sa misère. C’est la même chose pour la célébrité, quand on est dedans, à ce niveau là, on n’en a plus du tout conscience. »
Sources : Célestissima, Veilleur de jour, @rrêt sur images, Alainsurlepost
Avec son et image, à partir de 10'42 :
Au-delà du caractère déplacé du propos dans la bouche d'une personne fortunée (qui plus est à l'approche des grands froids !), première réflexion : quand on a lu Proust, on a une certaine délicatesse et discrétion de ne pas le crier sur les toits.
Mais la mission de Bruni est de rectifier l'image de butor inculte de son mari. Sous-texte de son adresse au bon peuple sur TF1 : « je suis dans l'élite des gens cultivés », « de tous ces gens qui critiquent monmari, combien ont lu Proust (ce sont donc des rustres) », etc.
Plus grave : une recherche textuelle initiée sur le forum d'@rrêt sur images par quelques abonnés n'a pour l'instant pas permis de retrouver le passage de Proust incriminé. Le mot "mendiant" ne figure que 3 fois dans la Recherche (dont une fois au pluriel), ceci sans rapport avec ce que raconte CBS. Le mot "clochard" est absent de la Recherche. Le mot "pauvre" ne donne rien. Les mots "nécessiteux", "misérable" et autres "aumône" ont aussi été testés, sans résultat.
Bizarre non ?
Pour ceux qui voudraient continuer l'enquête, l'intégrale de A la recherche du temps perdu est téléchargeable en fichiers pdf. Il peut être plus pratique de chercher directement sur l'ensemble du bouquin via google.
Hypothèses :
Peut-être CBS suit-elle (sans s’en rendre compte ?) l’exemple de son mari : raconter n’importe quoi impunément ?
- « Nicolas a cassé le mur de Berlin le 9 novembre 1989, alors Carla a trés bien pu le lire dans Proust. » (Stanley MILGRAM™)
Ou peut-être, tout simplement, ce que CBS raconte sur Proust, l’a-t-elle entendu au cours de quelque dîner ?
« Chaque fois qu'on nous parle de Carla Bruni, soulignons l'objectif et la manip ! »
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Mise à jour 20/12/2009
Le "concept de Proust (?)" raconté par Carla Bruni fait penser à l'exemple célèbre du garçon de café dans L'Être et le Néant de Jean-Paul Sartre : "garçon de café", "boulangère", ce sont quelque part des "rôles", des "projections", des "constructions mentales" de la part du client ou du passant. Le garçon de café ne "s'identifie" pas forcément à son "rôle" de garçon de café.
D'après Bruni, même chose pour le "mendiant" : il souffre - voire meurt - du froid, de malnutrition etc. (Carla préfère l'expression plus délicate « il est de plein pied avec sa misère »), mais ne souffre pas spécifiquement de son "rôle" de mendiant ("construction mentale" que projette sur lui le passant).
Il semble que ce dernier point puisse se discuter... N'est-ce pas premièrement pour échapper à la "conscience d'être mendiants", rappelée à eux par le regard des passants, que beaucoup de mendiants picolent ?
(pour rester dans l'idée de Sartre certains pourraient dire - Carla peut-être pourrait dire - que les mendiants picolent pour "adhérer" plus fidèlement au "rôle du mendiant", auquel s'attendent les passants)
"L'idée de Proust" avancée par Bruni, en fait peut-être grossièrement détournée de Sartre, pourrait s'avérer une abominable imposture : qui plus est dans la bouche de la riche épouse du président "monarque" ennemi de la République, au cours d'un entretien de propagande destiné à endormir la colère du peuple chaque jour plus scandalisé par le butor inculte et irascible ayant réussi, par manipulations, impostures et discours mensongers, à se hisser au pouvoir suprême.
Enfin peut-être celle qui, lorsqu'elle organise une réception dans son hôtel particulier, protège parquets et tapis en faisant poser une moquette qui sera jetée le lendemain (source Le Canard Enchaîné), a-t-elle par le même genre de trajectoire radicale, confondu Proust et Sartre ? Dans un panégyrique du Figaro tout à la gloire de CBS consacré, il était précisé qu'elle avait lu, entre autres auteurs français (dont Hugo Proust etc.), Sartre.
(article sorti d'ailleurs il y 2 ans, au moment précis où la liaison de CBS avec son futur mari fut rendue publique : on voit que la mise en avant de la culture littéraire française de CBS (car si elle est cultivée et de plus italienne elle a du lire autre chose que des auteurs français), a dès le début fait partie de son plan de com - ou de celui de son mari, il s'agit d'une entreprise bilatérale)
- « C'est du marketing : deux marques qui s'associent pour vendre plus. » (bbbb)
Mise à jour
Le texte de Sartre sur le garçon de café est disponible ici.
Pas de notion de "souffrance" à proprement parler chez Sartre : il est plutôt question de mauvaise foi, de sincérité, de vérité dans l'existence, d'adéquation à l'être, ou comme on veut dire.
La bouillie de Carla reste pour l'instant d'origine non identifiée.
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Mise à jour 01/01/2010
En visionnant attentivement l'interview, on se rend compte que la sortie de Bruni sur "le mendiant chez Proust", à partir de 10'30, est préméditée : elle sert de prétexte pour amener le "journaliste" à l'interroger sur cet autre conte de noël préparé à l'avance : le "vrai mendiant" qu'elle connait depuis 10 ans, qui crèche près de chez elle et qui lui aurait enseigné « le libre arbitre ».
Bref celle qui, même aux côtés du Dalaï Lama, a encore le réflexe de faire des mines aux photographes, aura :
- cité Proust pour faire l'intéressante
- l'aura cité faussement
- l'aura ravalé au rang d'outil de transition pour faire ensuite encore plus l'intéressante.
Lorsque l'on scrute tous ces détails (d'ailleurs citer faussement Proust devant 6 millions de téléspectateurs n'est peut-être pas un détail), c'est l'ensemble de l'entretien qui apparaît cousu de fil blanc.
« Il semble bien que ce soit une supercherie, qui révèle la stratégie marketing à l’œuvre autour de la première dame »
(marianneboulch)
« Si le reste de ses propos sur TF1 entretient le même genre de rapport avec la réalité, ce qui est tout à fait vraisemblable (on pense à ses propos du genre "monmari est extraordinaire", "je suis contente pour les français qu'ils aient monmari" etc.), il sera démontré que cette interview d'un 1/4 d'heure diffusée sur TF1, à un moment de très grande écoute juste avant le JT de 20H, était de fait un tissu d'outrageuse propagande. »
(contributeur anonyme)
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Mise à jour 01/01/2010
Trouvé grâce à une citation lue par hasard sur le net, voici apparemment le passage de Proust correspondant à l'idée lancée par Bruni (passage qui semble préfigurer le "garçon de café" de Sartre), c'est dans les toutes premières pages de la Recherche :
« Mais même au point de vue des plus insignifiantes choses de la vie, nous ne sommes pas un tout matériellement constitué, identique pour tout le monde et dont chacun n’a qu’à aller prendre connaissance comme d’un cahier des charges ou d’un testament ; notre personnalité sociale est une création de la pensée des autres. Même l’acte si simple que nous appelons « voir une personne que nous connaissons » est en partie un acte intellectuel. Nous remplissons l’apparence physique de l’être que nous voyons, de toutes les notions que nous avons sur lui et dans l’aspect total que nous nous représentons, ces notions ont certainement la plus grande part. »
(Marcel Proust, Du côté de chez Swann, p. 18-19 Folio)
On le voit, nulle trace de mendiant (pas plus que chez Sartre). Ceci était pure invention de la part de Bruni.
Pourquoi avoir ainsi convoqué le "mendiant", là où il n'avait rien à faire ?
On l'a vu : pour servir d'introduction à son conte de noël du "mendiant à côté de chez moi" qu'elle voulait "loger à l'hôtel mais il a refusé" et qui lui aurait appris « le libre-arbitre ».
Mais encore ?
Peut-être CBS pensait-elle vraiment ce qu'elle racontait, à propos du "mendiant chez Proust" (et sa soi-disant non-souffrance en tant que « personnalité sociale ») ? Finalement, peut-être a-t-elle eu elle-même l'initiative d'appliquer au "mendiant" la théorie énoncée par Proust ? Idée douce pour une personne richissime, et propre à apaiser sa conscience quant à des inégalités par trop flagrantes. Mais idée abusive et déplacée (surtout en clamant "comme l'expliquait Proust"!).
En définitive, Carla Bruni ne serait pas premièrement un être froid et calculateur, mais plutôt une fille un peu en dehors de la réalité, préférant "enjoliver" celle-ci, se "cherchant" un peu, aimant à se raconter des histoires.
- « [Mon mari] a 5 ou 6 cerveaux remarquablement irrigués » (Carla Bruni-Sarkozy)
Nous ne pouvons que l'encourager à réfréner ce penchant affabulateur lorsqu'elle s'adresse au pays : une inconséquence, un petit mensonge, qui pourront être charmants dans un cadre privé, seront qualifiés de grave foutage de gueule lorsque 6 millions de citoyens écoutent et regardent (en particulier lorsque l'objectif non avoué est de détourner l'attention des foules du scandale sans cesse grandissant en ce pays : un Nicolas Sarkozy gouvernant au service de clans, le sien personnel, et celui réactionnaire des forces d'argent lui ayant permis d'accéder au pouvoir - le tout rendu possible grâce à sa tactique de l'enfumage, véritable stratégie de conquête du pouvoir puis de sa conservation).
Dans l'expression "faire prendre des vessies pour des lanternes", on trouve le mot lanterne.
« je pense que Carla n’est pas seulement une potiche, elle joue un rôle précis dans la stratégie sarkozienne et elle le joue très volontiers »
(Celeste)
« Notre Dama a accès aux médias serviles facilement, en plus elle est dans le gotha musicalo-médiatique parisien avec amitiés politiques diverses. C'est une arme de guerre dans les mains du nain. »
(dagrouik)
« Chaque fois qu'on nous parle de Carla Bruni, soulignons l'objectif et la manip ! »
(Pescaloun)
Mise à jour septembre 2010
Dans le livre Carla, une vie secrète de Besma Lahouri, Pierre Charon, conseiller de Nicolas Sarkozy, confie :
« Nous avons essayé de la transformer en une artiste érudit, timide et discrète. Imaginez-vous combien cela est difficile tant c'est le contraire ! »
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Liens vers ce billet :
Now, cultures !
Anniceris
Vous avez très probablement été informés de la citation attribuée à Proust :
http://veilleur.blog.lemonde.fr/2009/12/17/carla-bruni-le-mendiant-ne-souffre-pas-detre-mendiant/
J'ai cherché "mendiant(s)" sur la base Frantext et ai trouvé trois occurrences, dont deux négligeables et la troisième (Sodome et Gomorrhe) qui établit en effet un parallèle entre le mendiant et le "grand seigneur", mais seulement si les deux sont homosexuels. Un autre personne (blog de Celestissima auquel renvoie celui du Monde, commentaire # 37) obtient un résultat similaire. S'il s'avère véritablement que Proust n'a rien dit de tel, cela ne mériterait-il pas un communiqué ? (Et si Mme B.-S. n'a rien inventé, un communiqué semblerait s'imposer aussi afin de lui donner raison.)
Merci de me faire savoir la suite éventuelle que vous comptez donner à cette affaire. (Un dépôt de plainte me paraîtrait exagéré, même si on pourrait interpréter l'affaire comme une atteinte à une gloire nationale...)
Pierre Enckell