Nouveau « bain de foule » sarkozien factice au 20H de France 2 !
Une journaliste de France 2 baptise « bain de foule » une mise en scène (avec bande-son truquée !). Pujadas garde un silence complice.
David Pujadas
Cela pourrait sembler une blague mais non !
Mardi 6 juillet 2010, nouveau "bain de foule" sarkozien truqué au 20H de France 2, cinq jours seulement après le précédent (1) : à Brie-Comte-Robert (77), et avec cette fois le concours d'un authentique chœur de militants UMP.
(1) Ayant négligé de programmer le magnétoscope du 2 au 5 juillet, nous ne sommes pas en mesure d'affirmer que le 20H de France 2 fut exempt d'autres « bains de foule » factices au cours de cette période.
Lien direct de la vidéo du reportage France 2 : http://www.dailymotion.com/video/xdyhlp
Analyse plan par plan
Note. Le site @rrêt sur images se refusant pour l'instant à faire de "l'arrêt sur images" (en particulier de l'analyse détaillée de journaux télévisés), il faut bien que certains s'y mettent.
1. Présentation Pujadas (16 secondes, 1 plan)
David Pujadas : « Alors on l'a compris Eric Woerth n'est plus le seul visé par cette affaire, Nicolas Sarkozy lui aussi est concerné : il a évoqué publiquement cette affaire pour la première fois, lors d'un déplacement où son agacement vous allez le voir, était perceptible. Valérie Astruc, Jean-François Monnier. »
Pujadas ne signale aucun « bain de foule » dans le reportage à venir (2). Sa grande éthique professionnelle lui fait sans doute préférer éviter de se compromettre publiquement à évoquer même de loin ces soi-disant « bains de foule » animés par des militants UMP (son scooter a déjà assez souffert comme cela). Le reportage commencera néanmoins par 21 secondes d'images montrant un Sarkozy triomphalement soutenu et acclamé. Ceci en pleine débâcle Woerth-Bettencourt, et alors que Sarkozy vient de battre une nouvelle fois son record d'impopularité : on peut déjà juger de la plausibilité, de l'hypothétique spontanéité et véracité, de tels "faits de rue"...
(2) Exactement comme 5 jours plus tôt, dans sa présentation du reportage incluant un précédent "bain de foule" sarkozien.
2. Reportage France 2, séquence 1 : « Bain de foule » sarkozien (21 secondes, 3 plans)
Plan 1 (7 secondes)
(à 0'16 de la vidéo)
Photo 1 (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Militant UMP 1 ("off", voix tonitruante) : « Bon courage, Nicolas ! Bon courage, Nicolas ! »
Militant UMP 2 ("off", voix un peu en retrait, dans une sorte de basse continue) : « Courage ! Courage ! Courage ! »
Journaliste 1 ("off") : « Des encouragements et un bain de foule, rien de tel... »
Les deux militants UMP, hélas non présents à l'image, forment un assez remarquable duo, avec notamment un subtil contrepoint : le militant 2 fait son entrée (« Courage ! ») précisément sur le premier « Nicolas ! » du militant 1.
Comme dans le reportage du 1er juillet analysé précédemment, la journaliste de France 2 prononce le terme « bain de foule » (3) alors qu'elle ne peut ignorer la manipulation consistant à fabriquer ces « bains de foule » avec des militants UMP.
(3) « En fait, paradoxalement, le monde de l’image est dominé par les mots. La photo n’est rien sans la légende qui dit ce qu’il faut lire (...). Nommer, on le sait, c’est faire voir, c’est créer, porter à l’existence. (...) ces mots font des choses, créent des fantasmes, des peurs, des phobies ou, simplement, des représentations fausses. »
(Pierre Bourdieu, cité in Pourquoi les mots sont importants de Pierre Tevanian & Sylvie Tissot, éditions Libertalia, 2010)
Rappelons ces propos du Monde (26 janvier 2010) :
« Les villes visitées par le président sont sous haut contrôle policier. [...] Les rares bains de foule ont lieu avec des militants UMP. Et la police, pesante, empêche toute manifestation d'opinion divergente. »
Libération précisait déjà en septembre 2009, à l'occasion de "l'affaire Faurecia" :
« En France comme à l’étranger, tous les lieux où Nicolas Sarkozy pose ses mocassins font l’objet d’une visite préparatoire (le «prépa» dans le jargon élyséen) des services de la Présidence. [...] à l’heure du tout info, ce «prépa» se concentre en priorité sur un message et une image à livrer aux télévisions. Aucune improvisation n’est tolérée. [...] tout est calibré, minuté, répété avec des doublures [...]. Des cars de militants sont également convoyés dès lors qu’il faut illustrer un «accueil populaire» ou un bain de foule, comme ce fut le cas à Caen le 6 juin lors de la venue de Barack Obama. »
« Même pour les préfectures rompues aux visites en tout genre, le degré d’exigence des équipes de l’Elysée pour mettre en scène le monde merveilleux de Nicolas Sarkozy est souvent un choc. »
En repassant les images de ce plan 1, on constate que la « foule » n'est en fait qu'un petit groupe de personnes, semblant comme "parquées" sur la droite de l'image. Le tout début du plan (photo 1) montre d'ailleurs un grand vide sur la gauche (excepté les sbires et Sarkozy lui-même).
En examinant les images on s'aperçoit que les deux femmes prenant des photos au premier plan (photo 2) ne prennent pas de photos : elles font semblant de prendre des photos. Elles ne cherchent pas à viser Sarkozy avec leurs appareils : tout au long du plan elles prennent la pose en tant que "dames qui photographient le président" ! (4)
(4) Un commentateur avance cette objection : « Rien ne prouve que les deux femmes (à l’évidence des militantes Ump) qui ont un appareil numérique en main n’ont pas pris de photo. Très probablement, elles sont en train de visionner sur l’écran LCD la ou les photos qu’elles viennent de prendre en oubliant de s’intéresser au sujet : Sarkozy. Ce faisant, elles agissent comme la majorité des utilisateurs de numériques, prisonniers d’un comportement pavlovien qui peut être vérifié partout, y compris sur le Tour de France où certains photographes, obnubilés par leur premier cliché, en oublient de regarder passer le peloton ! »
Photo 2 (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
On remarque aussi deux mystérieuses créatures (photos 3 à 5), semblant "encadrer" la «foule» (tout en y figurant) : deux brunes à chignon, lunettes et veste sombre . Leur comportement, mi-distancié/impassible mi-scrutateur, fait penser à celui de gardes du corps. Ces deux créatures ne sont sans doute pas de simples "militantes UMP" destinées seulement à garnir le plan : plus probablement des préposées à l'encadrement et à la supervisation de ce « bain de foule » sarkozien.
Photos 3 à 5 (cliquer sur les images pour les agrandir)
A la fin du plan (photo 6), Nicolas Sarkozy serre une main surgie du côté de la caméra - peut-être celle d'un des deux militants UMP s'étant illustrés sur la bande son au début du plan. Les deux créatures en noir restent impassibles, les deux "dames photographes" gardent la pose. On remarque que Sarkozy fait semblant de ne pas voir la créature brune de droite. Il lui passe devant, serre des mains avant et après elle, en l'ignorant totalement (la créature pour sa part reste remarquablement impassible tandis que le Président se tient absolument face à elle à une distance d'un demi mètre). Cette créature (comme sa collègue) n'est pas une simple figurante UMP sensée figurer une participante à une foule enthousiaste. Son rôle précis dans le dispositif sarkozien, reste à préciser.
Photo 6 (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Cette fin de plan (photo 6) montre sans doute à droite la limite droite du petit groupe de personnes sensées figurer une « foule » (limite droite d'ailleurs masquée par la créature brune de dos, peut-être plantée là précisément pour masquer cette limite, afin que la « foule » n'apparaisse pas trop ridicule). Or à ce moment, on voit encore à l'image la limite gauche de la « foule » (limite correspondant au bord de mur en brique rouge).
On le voit, cette « foule » (dixit la journaliste de France 2) n'est en fait qu'un simple petit groupe de personnes regroupées là, et facticement constitué : sans doute par au moins un bon nombre de militants UMP. Ce plan est un trucage complet. Sa brièveté (7 secondes), sa rapidité d'exécution (le mouvement de Sarkozy et celui de la caméra), permettent de masquer aux yeux du téléspectateur son caractère factice, son vice de fabrication (cf. note (1) du Chapitre 1 "Présentation Pujadas", ICI).
Question : qui a tourné ce plan 1 ? Une équipe privée sarkozienne, selon la pratique en vigueur durant la campagne présidentielle (les chaines de télévision récupérant ensuite les images pour construire leurs "reportages") ? Question subsidiaire : y a-t-il eu plusieurs prises ?
Dans le cas où ce plan serait l'œuvre d'un caméraman de France 2, sa conscience professionnelle a du en prendre un sacré coup... Il n'aurait pas agi dans ce plan en caméraman de reportage cherchant à filmer "ce qui se passe", s'intéressant à la réalité de ce qui se déroule sous ses yeux : mais en simple employé d'une entreprise de propagande, visant tel objectif prédéfini, respectant tel "cahier des charges" (tourner un plan, préparé à l'avance par les communicants élyséens, de « bain de foule » sarkozien).
Plan 2 (3 secondes)
(à 0'22 de la vidéo)
Journaliste 1 ("off", finissant sa phrase) : « ...pour oublier les tracas du moment et échapper aux questions des journalistes. »
Rupture temporelle à l'image : ce plan 2 se situe maintenant dans une rue, avec quelques vrais habitants, tenus à distance par les molosses de sécurité (Sarkozy et ses 5 ou 6 sbires occupent le principal de l'image). Par contre, parfaite continuité de la bande son : la journaliste termine sa phrase commencée à la fin du plan 1 ; et, chose plus étonnante (perceptible avec un bon casque) : l'environnement sonore reste celui du plan 1, c'est à dire que l'on entend en bruit de fond les restes d'acclamations qui accompagnaient ce plan 1, avec même un « au revoir » d'une des participantes !
Exactement comme dans le « bain de foule » précédent diffusé sur France 2 cinq jours plus tôt (cf. ici l'analyse de son Plan 2), le monteur a choisi d'assurer la continuité de la séquence en faisant persister l'environnement sonore d'un plan sur le plan suivant pourtant déconnecté du plan précédent, temporellement aussi bien que géographiquement (il aurait été bien plus intéressant ici de faire durer le plan 1, pour mieux cerner le bord droit de cette «foule»...). Manipulation aboutissant encore une fois au même effet : accréditer dans un plan "neutre" voire inanimé l'idée d'un « bain de foule », en faisant persister, par un artifice de montage, l'atmosphère - fabriquée et factice ! - du plan précédent. Dans le présent plan 2, on constate visuellement que rien ne se passe, les quelques "vrais habitants" que l'on peut apercevoir entre les gardes du corps sont remarquablement indifférents, loin de manifester des encouragements au Président qui passe : de simples curieux.
Au passage du président une jeune-fille en civil lui tourne le dos (elle évite néanmoins de montrer son visage à la caméra) : son rôle apparemment est de "contrôler" la « foule » de son côté (pourtant simplement composée, à vue d'œil, de quelques personnes du 3ème âge).
La présence de cette jeune-fille, après les deux créatures du plan 1, semble accréditer l'existence d'une "garde prétorienne femelle" au service du candidat UMP du chef de l'Etat.
Plan 3 (14 secondes)
(à 0'25 de la vidéo)
Journaliste 2 ("off", au président) : « Est-ce que vous avez reçu de l'argent de Liliane Bettencourt Monsieur le président ? »
Nicolas Sarkozy : « Merci... »
Une militante UMP ("off", au journaliste) : « Oh mais on s'en fout ! »
Chœur de militants UMP ("off", huant le journaliste et sa question) : « HAAAAAA ! OHHH ! OUOUAAAEUEUEUEUEU ! HOU !!! »
Journaliste 1 ("off") : « Faire comme si de rien n'était. Visiter un hôpital de proximité... »
Rupture temporelle peu importante par rapport au plan 2 : on reconnait les mêmes lieux, les mêmes sbires placés au même endroit.
Le « on s'en fout » de la militante UMP sur la bande son est particulièrement absurde et déplacé, en tant que sensé représenter la vox populi ("l'opinion du peuple") - et d'ailleurs clairement contredit un peu plus tard dans le même JT de France 2, par le témoignage de la candidate des Verts en campagne sur le terrain dans une élection partielle : « les gens ne s'intéressent qu'à ça [l'affaire Woerth-Bettencourt-Sarkozy]. On aimerait qu'ils s'intéressent aussi à notre programme ! »
Chose très remarquable, déjà notée dans l'analyse du reportage du 1er juillet : les militants UMP "hurleurs" prennent le plus grand soin de ne pas apparaître à l'image. Il y a là très certainement consigne, donnée à ces militants.
Autre chose très remarquable, et difficilement explicable : les militants UMP "hurleurs" ont l'air placés très près du micro (davantage que le journaliste 2 qui pose sa question au Président, ou que Sarkozy lui-même). Comment un tel prodige est-il possible ? Ont-ils un micro spécialement dédié ? A moins qu'ils restent tout simplement agglutinés derrière et sur les côtés de la caméra, aboutissant ainsi à ce double résultat : ne pas apparaître à l'image ; et pouvoir facilement rugir en direction du micro traditionnellement fixé sur le dessus de la caméra.
Ces trois plans de « bain de foule » (dixit la journaliste de France 2) auront finalement été sonorisés, d'un bout à l'autre, par des militants UMP (grâce à un artifice de montage en ce qui concerne le plan 2).
Conclusion
Rien à ajouter à la conclusion de l'analyse du "bain de foule" précédent diffusé cinq jours plus tôt dans le 20H de France 2 : la chaine de télévision publique se déshonore en se rendant complice, de façon plus ou moins active (le plan 1 a-t-il ou non été tourné par une équipe privée à la solde des communicants sarkoziens ?), d'une entreprise de fabrication d'images factices : des « bains de foule » animés en fait par des militants UMP. En clair : de la propagande.
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Mise à jour février 2012
« comment se fait-il que depuis cinq ans, les mises en scènes d'une réalité falsifiée, trafiquée, truquée et donc mensongère soient diffusées régulièrement dans les journaux de 20h sans que personne ne s'en émeuve dans les rédactions concernées et que cela ne fasse l'objet d'aucun débat public réel ? Étrange pays que la France de Nicolas Sarkozy, en vérité... » (Bruno Roger-Petit)
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Sur le même sujet :
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"Étant l'un des trois journalistes de télévision l'époque à avoir couvert cette affaire et découvert le pot-aux-roses (qu'est-ce qu'on a ri!), je peux attester que cela avait accouché d'une quasi-affaire d'État et que dès le lendemain de la révélation de l'affaire, [Olivier] Stirn démissionnait. C'était une époque où l'on considérait que la politique était encore une chose sérieuse et qu'elle ne devait pas ressembler à une comédie rythmée par les coups de com' des uns et des autres.
Aujourd'hui, tout ça c'est fini. Luc Chatel, à l'instar de son maître à penser peut bidonner tranquille ses petits coups de com'. Il ne risque plus rien."
Luc Chatel : la honte internationale sur le site du New York Times (Fuctuat.net, 20/08/2009)
"à la une de la version en ligne du NYT ce jeudi matin, le papier a également été "publié le 20 août 2009, à la page A5 de l'édition de New York", peut-on lire en bas de page."
Pujadas, quatre mois plus tard (Daniel Schneidermann - @rrêt sur images, 30/09/2009) - vidéo
[David Pujadas, 28/09/2009, France 2] :"« Ce soir, nous revenons sur l'organisation de ces voyages présidentiels dans les régions, et sur leur mise en scène. Comment sont-ils organisés ? Comment sont sélectionnés ou choisis les salariés ou les jeunes qui entourent le président de la République ? Rien n'est semble-t-il laissé au hasard. »"
[Daniel Schneidermann] : "La diffusion de ce reportage n'a rien, mais alors strictement rien à voir, avec la crise d'énervement présidentiel qu'a dû subir ladite Arlette Chabot à New York, après la célébrissime interview présidentielle. (...) On pourra espérer que se multiplient les savons présidentiels, qui titillent le reste de fierté, et fouettent le zèle journalistique."
« Village Potemkine » révélé avec Sarkozy et ses figurants à Faurécia. L’énorme imposture perce. (Le blog de Gérard Filoche, 07/09/2009)
"Le problème ce n’est pas « la petite taille » des ouvriers choisis pour être derrière Sarkozy, c’est surtout le « casting », la « répétition », la « mise en scène » effectuée avec les figurants amenés artificiellement alors qu’ils ne sont pas de l’usine"
"on a une mise en scène qui est une véritable et dangereuse escroquerie médiatique. C’est Ceaucescu en province, c’est comme ces fameux « village Potemkine » de façade, c’est Mussolini aux champs, rien d’autre, comme cela arrive avec toutes les propagandes totalitaires, l’Elysée est pris la main dans le sac."
"Il faut le redire : Olivier Stirn a été chassé du gouvernement pour moins que cela dans le passé. Luc Chatel et Nadine Moreno ont déjà été pris la main dans le sac, à Intermarché avec des vraies fausses ménagères de l’UMP faisant leurs courses…"
Liens vers ce billet :
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Désirs d'avenir 95
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