Juste après le sommet du G20 et alors que vient de sortir son livre Conversations républicaines (1), intervention d'envergure de Vincent Peillon, samedi 5 novembre, dans l'émission Lagôra présentée par Jean-Marc Bramy (France Ô).

(1) En cours de lecture, à notre avis fera date. Devrait venir se placer aux côtés des ouvrages de Badiou (De quoi Sarkozy est-il le nom ?) et de Todd (Après la démocratie) - d'autant que le livre de Peillon ouvre, lui, des perspectives.

 


Peillon : "c'est une crise de la construction... par antennerelais



Extraits :

"Une déliquescence progressive du débat politique"


« On cherche à faire peur aux gens, dans des opérations de communication. [...] On a besoin de gouverner par la peur, par l'émotion, la crise, les mises en scène. » (2) (à 1'46 de la vidéo)

(2) Comme dit à l'instant Variae à propos du plan de rigueur annoncé ce matin par Fillon : "Un plan qui vise à écraser le débat de 2012 sous la peur"

« J'ai une inquiétude sur cette déliquescence progressive du débat politique [...]. L'instantanéité l'emporte sur tout. [...] Tout le monde est maintenant pour des taxes sur les transactions financières, il y a quelques mois ou quelques années c'était vu de façon absolument invraisemblable : on a l'impression qu'on a toujours un temps de retard mais c'est presque exprès, ça pèse sur les peuples et ça permet cette communication. » (à 2'40)

« Je partage l'idée qu'il y a un [...] problème : l'idée du cercle unique, de la politique unique ; et dans le fond l'absence de politique, puisque la politique, c'est le choix. » (à 4'23)

 

 

"Une crise de la construction européenne"


« C'est une crise politique depuis le début, et c'est une crise de la gouvernance de l'Europe, de l'impuissance de l'Europe : de la construction européenne, il faut le dire. » (à 4'35)

« Cette crise de la construction européenne me semble avoir deux pieds. Le premier c'est quelque chose que l'on peut partager à gauche et à droite, c'est une analyse presque objective : on ne s'est pas donné les instruments pour réagir face à ces crises. On a fait l'euro, on a pas fait de gouvernement économique, on a pas fait l'harmonisation fiscale. Moi qui avait voté non au traité je dis : d'une certaine façon ce que l'on voit, c'est ce que l'on avait dit qu'il se produirait, et y compris vous le verrez une crise politique derrière, avec le retour d'un certain nombre d'extrémismes. Ca c'est une chose, c'est ce qui concerne les institutions européennes : elles ne fonctionnent pas, il n'y a pas de pilote dans l'avion. » (à 4'47)

« On a voulu faire l'Europe comme on aurait jamais fait la République, c'est-à-dire uniquement par des moyens matériels, sans esprit commun et sans insitutions communes. » (à 5'22)

 

 

"Sarkozy, Mme Merkel, la droite : en permanence c'est la libéralisation"


« Il y a un deuxième problème dont on ne parle pas, et que je vis comme parlementaire européen. Il y a des politiques différentes possibles en Europe, et depuis longtemps. Et en réalité, Sarkozy, Mme Merkel, d'ailleurs aussi l'opposition au 1er Ministre grec - [c'est-à-dire la] droite : en permanence c'est la libéralisation. Chaque fois que l'on a voulu remettre du politique, ils ont été contre. [...] » (5'32)

« J'ai présidé la mission anti-blanchiment (3) ; je me souviens d'un colloque avec M. Sarkozy. Ce qui préoccupait Sarkozy [...] c'était uniquement la dérégulation, et supprimer l'abus de bien social pour les patrons des grandes entreprises. Il change d'avis tout le temps, dans les mots : mais pas dans les politiques. Et c'est là qu'il faut que les gens regardent, derrière le miroir des télévisions et des communicants : quels sont les actes concrêts ? On a voulu augmenter le budjet européen pour mener des politiques : nenni. On nous a refait le traité constitutionnel (ça c'est Sarkozy) réduit aux acquêts, sans discussion sur l'harmonisation fiscale (alors qu'en plus on avait voté non, on avait quand même un petit pouvoir pour négocier), sans discussion sur les services publics. [Sarkozy] a annoncé, avec Mme Merkel, à Deauville, que jamais il ne ferait d'eurobonds. Donc chaque fois on a des abandons, y compris des abandons de souveraineté. » (à 6'17)

(3) http://www.assemblee-nationale.fr/11/dossiers/blanchiment.asp

 

 

"Il n'y a pas d'esprit public européen"


« Je pense que pour les générations qui vont nous succéder, nous sommes devant le problème que la France a connu au XIXème siècle. On s'est posé la question de savoir si on pouvait faire la République uniquement avec le changement des intérets matériels (si vous transposez en Europe c'est la communauté de l'acier et du charbon, le marché unique). Ca n'a jamais marché. A un moment on s'est dit : la question qui se pose pour faire nation ensemble, pour faire peuple ensemble, pour avoir un projet commun, c'est les valeurs que nous partageons. C'est pour ça que l'on s'est dit : si on veut faire une République il faut des républicains, et un espace public. » (à 8'22)

« Il n'y a pas d'esprit public européen. Il n'y a pas d'intérêt général européen. » (à 9'08)

 

 

"Nous avons pris la position d'une harmonisation fiscale depuis 20 ans"


« Je relisais ce matin point par point nos déclarations, pour les miennes depuis près de vingts ans, et y compris celles de François Hollande. Je l'ai fait signer sur la taxe Tobin et sur les transactions financières en 1999, contre tout le monde (il était 1er secrétaire du Parti socialiste) ; et j'avoue, à l'époque, même contre Laurent Fabius. » (à 9'28)

« Nous avons pris la position d'une harmonisation fiscale depuis 20 ans. Nous avons dit qu'il faut une politique industrielle européenne depuis des années. [F. Hollande] a encore dit au mois d'avril : "on ne s'en sortira pas sans un effacement (c'est-à-dire une solidarité en réalité) de la dette grecque, une restructuration" - c'est-à-dire que les banques doivent payer, 50% : moquerie généralisée. Deux mois après c'est ce qui se fait. » (9'43)

 

 

"un déficit démocratique européen évident depuis très longtemps"


« Je vois que le référendum serait devenu la panacée de la démocratie : ça ne l'a jamais été pour les républicains. » (à 7'30)

« La démocratie représentative (et donc quand même la façon de consulter les citoyens, de délibérer en commun, l'espace public commun), est totalement absent de l'Europe. [...] Qu'est-ce que vous avez vu au G20 ? Pour rêgler un problème européen, ce n'est pas le cadre le G20 ! Le G20 c'est la gouvernance mondiale. [...] L'Europe ne marche pas. » (à 7'37)

« Il y a un déficit démocratique européen évident depuis très longtemps. » (à 8'18)

***

« L'Europe que nous voulons ce n'est pas une Europe impuissante. Parce que l'Europe impuissante elle nourrit les nationalismes sectaires. [Ce que nous voulons] c'est une Europe puissante qui ne défait pas pour autant les Nations. [...] Nous constatons qu'elle n'existe pas. Et maintenant elle est livrée aux Chinois et aux belles paroles de M. Obama. » (à 10'08)

« On est soumis aux marchés. [Il faut] une volonté politique en face, forte, puissante - et les peuples l'ont, donc donnons-leur la parole. » (à 11'47)

« Vous ne réformerez pas les Etats sans réformer les citoyens. Il y a un droit de vote qui a été donné pour le Parlement européen, en 2009, après la crise de 2008 qui était une crise du libéralisme s'effondrant sur lui-même, crise extrêmement brutale après les subprimes. Les citoyens européens ont décidé d'envoyer la majorité la plus libérale possible au Parlement européen, et nous sommes face à cette difficulté. [...] Sarkozy a été élu, Merkel est élue, les parlementaires européens sont élus : à droite toute ! Libéralisme total. Donc il faut que cette prise de conscience arrive, on le paye très cher. Est-ce que l'histoire doit avancer par crises je n'en sais rien. Je sais que l'Europe telle qu'elle est aujourd'hui - et j'ai voté non [au référendum de 2005], et je le dis depuis 15 ans -, elle ne peut pas fonctionner, elle nous emmène dans le mur. » (à 12'10)

« Est-ce que l'on peut réformer le fonctionnement économique de l'Europe sans une réforme du fonctionnement démocratique : la réponse est non. Il faudra un nouveau pas démocratique. » (à 13'02)